La reprise d'affaires familiales dans le tourisme
Après les expériences malheureuses de la pandémie, comment rendre la reprise d'entreprises familiales de tourisme de nouveau attractive pour les successeurs ?
Le secteur du tourisme et de l'hôtellerie a été l'un des plus durement touchés par la pandémie (Breier et al., 2021). Par l’instauration de confinements et de restrictions d’activité, les gouvernements du monde entier ont limité l’activité économique aux industries absolument nécessaires… le tourisme n'en faisait clairement pas partie. Cette situation pourrait être considérée comme "normale" ou "équitable" si l’on considère que cette industrie est génératrice de déplacements et de très nombreuses interactions entre individus, et notamment entre voyageurs et hébergeurs (Kallmuenzer, Peters, & Buhalis, 2020), et donc d’un risque accru d'infections. Pour les fournisseurs de services de tourisme et d’hospitalité, cependant, cette politique a signifié une coupe sombre dans leur activité pendant près de deux ans. Bien que de nombreux pays, comme la France, l'Autriche ou l'Allemagne, aient mis en place des programmes visant à prendre en charge le coût de la mise en congés, ces paiements ont progressivement pris fin, alors que les salariés n'étaient toujours pas autorisés à travailler, ou seulement de manière limitée.
Si l'on considère que le tourisme a connu un constant développement au cours des dernières décennies, sachant rester résilient malgré les diverses crises traversées, il s'agit d'une expérience vraiment nouvelle. L'attrait de ce secteur s'en est trouvé fortement modifié, d'une part pour les employés qui l'ont quitté pour travailler dans des secteurs perçus comme plus sécurisants et stables et/ou qui ne reviennent pas en raison d’un futur qu’ils perçoivent de façon générale comme incertain (Noack, 2021), mais aussi, d'autre part, pour les entreprises de tourisme et d'hôtellerie elles-mêmes.
La plupart des entreprises du secteur du tourisme et de l'hôtellerie, en particulier celles des zones rurales, sont des entreprises familiales (López-Chávez, Maldonado-Alcudia et Larrañaga Núñez, 2020). Ce type d'entreprise se caractérise par le fait qu’une même famille soit à la fois gérante et propriétaire, et par le fait que la transmission de l'entreprise à la génération suivante est souvent un objectif important pour l'entreprise et la famille (Kallmuenzer et al., 2021).
La question de la succession au sein d’entreprises familiales est complexe, en particulier dans des secteurs tels que le tourisme, souvent caractérisé par l’importance du travail saisonnier, les horaires de travail peu compatibles avec la vie de famille, les faibles possibilités de carrière, les importants investissements financiers nécessaires (rénovation des bâtiments …) et les défis que représente la gestion simultanée des intérêts de la famille et de l'entreprise (Peters, 2005). En plus de cette situation déjà exigeante pour des successeurs souvent encore jeunes, la pandémie a ajouté un nouveau facteur critique à ce défi : l’incertitude quant aux perspectives futures, combinée à la difficulté de trouver et de garder des employés qualifiés (Eller, Alford, Kallmünzer, & Peters, 2020) permettant à l'entreprise de fonctionner.
Il est donc probable que nous constations bientôt la confirmation d'une tendance à la disparition des entreprises dans le secteur du tourisme et de l'hôtellerie. En s'appuyant sur les implications de la recherche académique (Breier et al., 2021; Kallmuenzer et al., 2021), les acteurs politiques comme les successeurs au sein d’entreprises familiales peuvent trouver dans l'éducation, l'innovation et l’action publique des pistes pour freiner, voire inverser cette tendance :
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La formation des successeurs des entreprises familiales du tourisme et de l'hôtellerie
En matière de stratégie, de finance et de sujets connexes leur permettra d'adopter de meilleures approches en matière de formulation de stratégies et de calcul des risques. Ces compétences nouvelles, associées à une compréhension approfondie de l'importance de la tradition familiale et de l'héritage pour leurs propres familles, l'économie et les sociétés régionales, pourraient contribuer à convaincre les jeunes de reprendre l'entreprise.
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L'innovation est un facteur déterminant
Les innovations nées de la pandémie, et désormais bien établies, telles que les services de livraison et de vente à emporter, les prestations de cuisine au domicile du client, les dark kitchen (restaurants virtuels qui livrent les consommateurs à domicile grâce à des plateformes en ligne) ou encore le développement du travail nomade (facilitée par la démocratisation de solutions de home office) ont ouvert la voie à d'autres innovations dans le secteur du tourisme et de l'hôtellerie.
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Un soutien politique permettant d’affirmer le tourisme et l'hôtellerie comme une industrie de première importance
Pour la société sera essentiel pour lui permettre de se préparer à de futures crises. Il est également nécessaire de pouvoir disposer d’études démontrant que, en raison des politiques sanitaires mises en œuvre, la propagation du virus dans les hôtels et les restaurants, par exemple, n'était en fait pas beaucoup plus élevée que partout ailleurs. De même, des études montrant l’utilité de voyager ou de se restaurer hors domicile pour la santé mentale et physique seraient d'un grand secours. Enfin, il y a aujourd’hui besoin d’un lobbying plus fort visant à souligner l'importance économique des entreprises familiales du tourisme pour de nombreuses régions, ainsi que leur rôle fondamental de pourvoyeurs d’emploi dans des régions souvent moins développées (Peters & Kallmuenzer, 2018).
Ces efforts devraient idéalement résulter en un plus grand soutien politique aux entreprises familiales en tant que colonne vertébrale durable de notre société en général, et du tourisme et de l'hôtellerie en particulier, et ainsi contribuer à augmenter l'attrait de ces entreprises pour les futures générations en charge.
- Références
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Breier, M., Kallmuenzer, A., Clauss, T., Gast, J., Kraus, S., & Tiberius, V. (2021). The role of business model innovation in the hospitality industry during the COVID-19 crisis. International Journal of Hospitality Management, 92, 102723. https://doi.org/10.1016/j.ijhm.2020.102723
Eller, R., Alford, P., Kallmünzer, A., & Peters, M. (2020). Antecedents, consequences, and challenges of small and medium-sized enterprise digitalization. Journal of Business Research, 112, 119–127. https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2020.03.004
Kallmuenzer, A., Peters, M., & Buhalis, D. (2020). The role of family firm image perception in host-guest value co-creation of hospitality firms. Current Issues in Tourism, 23(19), 2410–2427. https://doi.org/10.1080/13683500.2019.1611746
Kallmuenzer, A., Tajeddini, K., Gamage, T. C., Lorenzo, D., Rojas, A., & Schallner, M. J. (2021). Family firm succession in tourism and hospitality: an ethnographic case study approach. Journal of Family Business Management, online first. https://doi.org/10.1108/JFBM-07-2021-0072
López-Chávez, B. A., Maldonado-Alcudia, C., & Larrañaga Núñez, A. M. (2020). Family business in tourism: An international systematic review of literature with an emphasis on Latin America. Academia Revista Latinoamericana De Administración, online first. https://doi.org/10.1108/ARLA-06-2020-0140
Noack, R. (2021, July 26). Hospitality staff shortage could hinder Europe's recovery. The Washington Post, A10.
Peters, M. (2005). Succession in tourism family business: The motivation of succeeding family members. Tourism Review, 60(4), 12–18. https://doi.org/10.1108/eb058461
Peters, M., & Kallmuenzer, A. (2018). Entrepreneurial orientation (EO) in family firms: the case of the hospitality industry. Current Issues in Tourism, 21(1), 21–40. https://doi.org/10.1080/13683500.2015.1053849.