Classification hôtelière et satisfaction client
Classification hôtelière et satisfaction client
La classification hôtelière par étoiles permet-elle vraiment d’améliorer la satisfaction client ?
Vous avez peut-être pu voir à la télévision, pendant les fêtes, le documentaire consacré à Auguste Escoffier, illustre cuisinier du début du 20e siècle. On y évoque en particulier sa longue association avec César Ritz, inventeur de l’hôtellerie de luxe. Et l’on découvre surtout qu’à l’époque, un hôtel était notamment reconnu comme luxueux, parce qu’il proposait une salle de bains privative dans chacune de ses chambres.
Auguste Escoffier ou la naissance de la gastronomie moderne - Arte
Un service – la location d’un hébergement en hôtel, un voyage en train, etc.- est constitué d’un ensemble d’attributs, ou éléments de service. Ainsi, les attributs recherchés par la clientèle fortunée d’un hôtel tel que le Savoy à Londres lors de son inauguration en 1899 sont, outre une offre de restauration exceptionnelle (merci Chef Escoffier !), la présence de salles de bains en chambre. C’est peu de dire que les canons du luxe ont quelque peu évolué depuis !
Avec LLosa (19971, 19992), on distinguera les éléments de service qui ont toujours un impact sur la satisfaction du client (pondération fixe des attributs), des attributs dont l’effet sur la satisfaction est contingent à leur performance (pondération variable des attributs). Ainsi la propreté d'une chambre d’hôtel est un attribut à pondération variable : si la chambre est sale, cela impactera très fortement la satisfaction, alors que le fait qu’elle soit propre n’affecte pas la satisfaction du client parce que c’est considéré comme une norme. Les gestionnaires et investisseurs hôteliers avisés concentreront leurs efforts sur les attributs de service pour lesquels la marge de tolérance du client (Johnston, 19953) est la plus faible, c’est-à-dire pour lesquels il n’est pas du tout disposé à accepter une "non-confirmation de ses attentes"4 : propreté d’une chambre, disponibilité d’un wifi de qualité...
Si les systèmes de classement par étoiles (tel celui proposé par Atout France dans le cas de l’hôtellerie française) visent à garantir la satisfaction des clients (Callan, 19955), le fait qu’un hôtel quatre étoiles soit en conformité avec la classification ne garantit pas pour autant de rassurer le client sur la confirmation de ses attentes. Pas si simple en effet… d’abord parce que pour citer Kotler (Kotler et al.,20146), le produit proposé par un hôtel est une combinaison d’éléments tangibles (présence d’une douche ou d’une baignoire en chambre, présence d’un spa dans l’hôtel…) et intangibles (l’attention portée aux hôtes pendant le séjour…), ces derniers étant difficilement encodables dans une norme. Ainsi, la présence d’un service de voiturier, quoique exigée pour un 5 étoiles en France, ne garantit pas que ce dernier soit parfaitement attentionné.
L’autre limite, de taille, à un système de classification hôtelière est qu’il s’adosse à une nomenclature des attributs définie par des experts de l’hôtellerie, qui livrent ainsi leur perception des attentes des clients vis à vis d’un hôtel étoilé : surface de la chambre, présence d’un dispositif de réveil, etc. Or, il faut se rappeler que le client s’appuie, pour le choix de son hôtel, sur un ensemble d’outils numériques facilitant la comparaison entre les hôtels d’une même destination. Ce processus d’achat ‘digital’ se déroule selon un processus où le prix (Lallement et al., 20137) et les avis clients (e-réputation) jouent un rôle déterminant (Gretzel et al., 208), ces derniers inspirant plus confiance que le nombre d’étoiles ou les informations communiquées directement par l’hôtel. Les attentes d’un client vis-à-vis d’une expérience de séjour se forgent ainsi par la comparaison des hôtels d’une même destination, et la rareté d’un attribut de service (par exemple, la possibilité de commander un repas en chambre, ou ‘room service’) constitue un critère déterminant le choix, alors que le fait de disposer d’un restaurant ne conférera pas d’avantage de différenciation si les hôtels de classe similaire de la destination en proposent également un. Plus que la conformation à un cahier des charges national ne tenant pas compte des spécificités des destinations, c’est la capacité à proposer des services rares au sein de la destination qui est la véritable source de satisfaction client et d’avantage concurrentiel.
Extrait des critères de classification en étoiles (Atout France Mars 20228)
Les classifications hôtelières en étoiles sont ainsi des nomenclatures d’attributs définies par des experts hôteliers (tableau ci-dessus) qui présentent l’inconvénient de ne tenir compte ni de la rareté d’un attribut au sein d’une destination9, ni des attentes effectives des clients d’une destination spécifique en matière d’éléments de service.
Il conviendrait d’imaginer un dispositif alternatif permettant à chaque hôtelier le pilotage de son offre de services en privilégiant les éléments de services prisés par les clients de la destination et suffisamment rares au sein de l’offre existante pour conférer un avantage concurrentiel. Le traitement massif et informatisé d’avis postés en ligne (Booking.com, Tripadvisor, etc.) permettrait ainsi l’identification des éléments de service attendus pour la destination pour ensuite croiser les résultats avec un inventaire systématique des services proposés par l’hôtel et ses concurrents. L’hôtelier serait ainsi en mesure de décider les ajustements dans son offre susceptibles de lui conférer un avantage concurrentiel, de type océan bleu10.
- Références
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1 - Llosa, S., 1997. L'analyse de la contribution des éléments du service à la satisfaction: un modèle tétraclasse. Décisions marketing, , p. 81-88.
2 - Llosa, S., 1999, Contributions to the Study of Satisfaction in Services, Proceedings of the AMASERVSiG Service Research Conference,10- 12 April. New Orleans, pp.121 -3.
3 - Johnston, R., 1995. The zone of tolerance: exploring the relationship between service transactions and satisfaction with the overall service. International Journal of Service Industry Management.
4 - Sur la relation entre confirmation des attentes (‘expectancy confirmation’) et satisfaction du client, voir notamment l’article fondateur de : Anderson, R. E. (1973). Consumer dissatisfaction: The effect of disconfirmed expectancy on perceived product performance. Journal of Marketing Research, 10(1), 38-44.
5 - CALLAN, Roger J., 1995, Hotel classification and grading schemes, a paradigm of utilisation and user characteristics. International Journal of Hospitality Management, vol. 14, no 3-4, p. 271-283.
6 - Kotler P., Bowen J.T., Makens J., 2014, Marketing for Hospitality and Tourism, 6e Edition, Pearson.
7 - Lallement, J., & Zollinger, M., 2013, Vite et à tout prix? Ou l'importance du prix pour le consommateur pressé. Décisions Marketing, 11-24.
8 - https://www.classement.atout-france.fr/nos-documents-de-classement
9 - Par exemple : tous les hôtels 4* de La Rochelle proposent-ils du room service ?
10 - Kim, W. C., Mauborgne, R., 2015, Stratégie océan bleu: comment créer de nouveaux espaces stratégiques. Pearson.