La Construal Level Theory (CLT)
La Construal Level Theory (CLT)
En juillet 2022, le Boutan annonce qu’une taxe touristique quotidienne de 200 dollars sera demandée à chaque voyageur, dans la perspective de favoriser un tourisme durable. En créant une barrière financière à l’accès, ce petit pays himalayen cherche à limiter le volume et l’impact du tourisme sur l’environnement. Il est aisé de comprendre que cette méthode peut être efficace car elle touche directement au pouvoir d’achat des consommateurs dont les conséquences sont très pratiques et mesurables. Ces mêmes consommateurs auraient-ils limité leur déplacement simplement dans l’objectif de protéger l’environnement ? Cela semble moins évident, et c’est peut-être parce que les conséquences sur l’environnement sont moins manifestes que celles sur notre budget. C’est ce que tend à expliquer la Construal Level Theory (CLT), qui nous apporte une compréhension fine des mécanismes psychologiques qui entrent en jeu dans les décisions d’achat qui comporte une dimension écologique (ou pro-sociale).
La Construal Level Theory (CLT), quésaco ?
Popularisée par Trope et Liberman (2010), la CLT ou théorie des niveaux de représentations en français, envisage la distance psychologique comme le degré d’éloignement qu’un individu entretient avec une entité perçue (objet, action, personne). Il est supposé que plus cet éloignement est élevé, plus les préoccupations de l’individu envers cette entité sont faibles. Cette diminution de préoccupation affecte également le sentiment de capacité et les motivations de l’individu à agir par rapport à cette entité (Trope et Liberman, 2010). Dans la cadre de cette théorie, la distance psychologique est faite de quatre dimensions : la distance temporelle (l’expérience est plus ou moins proche dans le temps), la distance spatiale (l’évènement se situe plus ou moins loin de mon environnement quotidien), la distance sociale (l’évènement affecte des proches ou au contraire des personnes qui me sont étrangères) et la distance hypothétique (l’évènement est certain ou incertain). La CLT est considérée comme une théorie efficace pour expliquer les freins à la lutte contre le changement climatique (Bugger et al., 2016 ; Trespeuch et al., 2020). En effet, les risques liés au changement climatique sont souvent difficiles à visualiser et induisent une grande distance psychologique, notamment temporelle et hypothétique (même si les feux de forêt cet été ont quelque peu changé les perceptions à ce sujet). Cette représentation abstraite se traduit finalement par un faible engagement de la part des consommateurs (Alaoui et Cova, 2021). En effet, les représentations abstraites, éloignées, nous conduisent à penser en termes de désirabilité – le pourquoi – alors que les représentations concrètes et la proximité perçue avec une entité nous invitent à penser de façon pratique la faisabilité des évènements – le comment (Guillard, 2019). La CLT nous renseigne donc sur notre implication, parfois limitée, dans la préservation de l’environnement : notamment quand il s’agit de voyager !
La CLT, à quoi ça sert dans la vraie vie ?
Le marketing recourt très souvent à cette théorie pour donner lieu à des messages impactants et favoriser des comportements pro-sociaux, par exemple le don du sang (Balbo et al., 2017), faciliter le dépistage de maladie (Nan, 2007) ou encourager des pratiques pro-environnementales comme la réduction du gaspillage (Guillard, 2019). De manière générale, la CLT est utile pour créer des communications ayant des finalités sociétales (santé, écologie, solidarité). Pour en revenir à notre exemple initial et au secteur du tourisme, la prochaine fois que vous partirez en vacances, vous vous souviendrez peut-être que la CLT explique la raison pour laquelle plus le voyage se rapproche plus les problèmes logistiques sont prégnants dans votre esprit (et pourquoi le poids de la valise est plus préoccupant que l’empreinte carbone du voyage) ! La stratégie adoptée par le Boutan pour favoriser un tourisme durable est certainement efficace mais il convient de souligner que d’autres orientations sont possibles. Ainsi, la CLT suggère de « rapprocher » les conséquences néfastes des voyages sur la planète et les lieux visités pour un tourisme plus durable. Ces enjeux sont cruciaux à l’heure où les questions sur nos modes de vie se multiplient et ou les formes de tourisme alternatif se développent.
- Références
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Didi Alaoui, M., & Cova, V. (2021). La distance psychologique comme outil actionnable par les managers. Recherche et Applications en Marketing (French Edition), 36(4), 58-82.
Balbo L., Jeannot F. et Estarague J. (2017), Promouvoir les comportements de santé pro-sociaux : l’association du cadrage du message et de la distance sociale, Décisions Marketing, 85, 13-27.
Brügger A, Morton TA et Dessai S (2016) ‘Proximising’ climate change reconsidered: a construal level theory perspective. Journal of Environmental Psychology 46: 125–142.
Guillard V (2019) Le gaspillage perçu des objets : une analyse par les théories de la distance psychologique et des niveaux de représentation. Décisions Marketing, 93: 11–32
Nan X. (2007), Social distance framing and judgment: a construal level perspective, Human Communication Research, 33, 4, 489-514.
Trespeuch, L., Robinot, É., Botti, L., Bousquet, J., Corne, A., De Ferran, F., ... & Peypoch, N. (2021). Allons-nous vers une société plus responsable grâce à la pandémie de Covid-19?.
Trope Y. et Liberman N. (2010), Construal-level theory of psychological distance, Psychological review, 117, 2, 440-460.